Eindredactie: Thierry Deleu
Redactie: Eddy Bonte, Hugo Brutin, Georges de Courmayeur, Francis Cromphout, Jenny Dejager, Peter Deleu, Marleen De Smet, Joris Dewolf, Fernand Florizoone, Guy van Hoof, Joris Iven, Paul van Leeuwenkamp, Monika Macken, Ruud Poppelaars, Hannie Rouweler, Inge de Schuyter, Inge Vancauwenberghe, Jan Van Loy, Dirk Vekemans

Stichtingsdatum: 1 februari 2007


"VERBA VOLANT, SCRIPTA MANENT!"

"Niet-gesubsidieerde auteurs" met soms "grote(ere) kwaliteiten" komen in het literair landschap te weinig aan bod of worden er niet aangezien als volwaardige spelers. Daar zij geen of weinig aandacht krijgen van critici, recensenten en andere scribenten, komen zij ook niet in the picture bij de bibliothecarissen. De Overheid sluit deze auteurs systematisch uit van subsidiëring, aanmoediging en werkbeurzen, omdat zij (nog) niet uitgaven (uitgeven) bij een "grote" uitgeverij, als zodanig erkend.

28 februari 2010

JUSTE UN HOMME INTELLIGENT:
LA VIE EXEMPLAIRE
D’EDWARD ANSEELE



Certes, il faut se méfier des biographies, particulièrement si elles ont un petit côté hagiographique, comme l’est "La vie de Edward Anseele"’ de Paul Kenis, source principale qui nourrit mes réflexions, et que l’on sait que le grand socialiste de Gand, admiré, adulé, controversé et haï comme il l’a été, précisément, n’était pas un saint. Mais n’était-il pas plutôt un dieu ? Ce qui pourrait l’absoudre des défauts qu’il a manifestés durant sa vie de lutteur rusé, affublé de certains petits traits tyranniques. A juger de la statue que lui a faite Jozef Cantré à la Place du Midi, c’est de cette façon que certains ont dû le voir. Cet homme, petit de taille, y surgit de la pierre comme un géant, soulevant avec son bras les silhouettes de maints ouvriers qu’il était censé protéger et/ou entraîner vers des lendemains qui chantent. Il faut dire qu’il était fort. Le chemin parcouru à partir de ses 18 ans laisse rêveur. En cette année 1874, ce fils de cordonnier, aide clerc de notaire puis imprimeur adjoint qui n’avait même pas terminé ses études secondaires, écouta en compagnie de son fidèle ami et futur compagnon de lutte et associé, Edmond Van Beveren, le discours émouvant de Paul Verbauwen, dirigeant d’une sorte de Trade Union de tisserands, sur la situation de travail des femmes et des enfants. Du coup les deux amis s’affilièrent au club de lecture de ces "Tisserands fraternels" (Broederlijke Wevers), ainsi qu’à la coopérative informelle des "Boulangers Libres" (Vrije Bakkers), dont les fourneaux étaient situés dans la cave d’un estaminet, rue de Belgrade.

A la fin du siècle il dirigeait un petit empire constitué de 16 syndicats regroupant 10.000 membres (avec caisses de grève et fonds de pension), 3 coopératives, une mutuelle, une foulée de cercles culturels et récréatifs, une usine de tissage, une filature, une teinturerie, une usine de meubles, une fonderie, des ateliers de confection et de chaussures, une imprimerie, une Banque et j’en passe et lui-même était devenu rédacteur en chef du journal "Vooruit" et secrétaire du Parti des Travailleurs belge. En plus une carrière politique s’ouvrait à lui qui le ferait assumer les fonctions d’échevin des finances et des régies, puis vers la fin de la première guerre mondiale, de bourgmestre de la ville de Gand et ensuite celles de ministre des Travaux Publics et des Chemins de Fer, de la Poste et de la Téléphonie au sein de deux gouvernements belges.

Lorsqu’il entama sa carrière politique la situation des ouvriers était peu souriante. Ils devaient bosser de 12 à 14 heures par jour, ce qui valait aussi pour les femmes et les enfants qui étaient embrigadés à partir de leurs 11-12 ans. Le salaire misérable qu’on leur versait était à peine suffisant pour l’achat d’un pain de seigle par jour et de quelques kilos de patates. La viande était un luxe que peu d’entre eux connaissaient. En temps de crise ou de malheur ils étaient des proies faciles pour les maladies et la famine. Les pionniers des droits des travailleurs eux-mêmes en étaient parfois la proie, tel Emile Moyson, le premier intellectuel qui s’engagea pour et avec eux, et qui, rejeté par sa famille, mourut dans la misère, terrassé par la tuberculose. Anseele en écrirait plus tard la biographie sous le titre "Sacrifié pour le peuple" (Voor ‘t Volk geofferd). Aussi, la mutuelle qu’il intégra dans son empire porterait le nom de "Bond Moyson", à la mémoire de cet idéaliste de la première heure.

A ses débuts, le mouvement social, tel qu’il se manifesta à travers les congrès de l’Internationale qui regroupait les différents courants de la lutte pour les droits des ouvriers, était divisé entre révolutionnaires et réformistes et parmi les révolutionnaires il y avait le courant anarchiste - les rêveurs romantiques disons – et les marxistes qui cherchèrent des manières effectives de conquérir le pouvoir politique. Au congrès de La Haye en 1872, ces deux dernières tendances opérèrent la scission entre partisans de Bakounine et Marx. Au Congrès de 1877, tenu à Gand, entre autres par les soins du jeune Anseele, qui en fut l’administrateur, en présence de ténors internationaux comme Liebknecht ou encore Kropotkine, le thème central fut la participation, oui ou non, à l’action parlementaire. Le résultat, refléta la faction à laquelle Anseele appartenait : ‘’le prolétariat organisé ferait usage de tous les moyens à sa disposition afin d’assurer l’émancipation sociale’’. Formule prudente, mais elle permettrait au politicien d’agir en conséquence. Ce qu’il fit en travaillant à la formation d’un parti socialiste réformiste et modéré (cela deviendrait en 1886, après plusieurs métamorphoses, le Parti Belge des Travailleurs dont il assuma l’administration avec son ami bruxellois Louis Bertrand).

Mais avant tout il mènerait une politique en fonction de l’amélioration immédiate de la situation des travailleurs. Il était bien conscient de la nécessité de s’intégrer dans la voie constitutionnelle afin d’obtenir les conditions légales qui seules - contrairement aux conflits qui s’avéreraient des prétextes à la répression violente pour ses adversaires – lui permettraient d’atteindre ses objectifs. Car il savait bien que les améliorations revendiquées, entre autres concernant les conditions de travail des femmes et l’abolition du travail des enfants, la limitation des heures de travail, le droit de réunion et de liberté d’expression pour les ouvriers, ne seraient effectives que lorsqu’on aurait instauré le suffrage universel. Il a dû attendre jusqu’après la première guerre mondiale, mais alors les choses ont évolué rapidement. Avec plusieurs ministres socialistes au gouvernement, dont Anseele, les syndicats furent reconnus, la journée de huit heures et le salaire minimal indexable instaurés etc.

En attendant Anseele a tout fait pour remporter, au moins pour les citoyens de sa ville de Gand, le maximum de bénéfices possibles. Et tout cela de façon pacifique. Une chose unique, alors que, partout au monde, tant de lutteurs sociaux se sont fait massacrer sans obtenir rien qui vaille. Lorsqu’il y avait des révoltes soldées de plusieurs morts un peu partout dans le pays, Anseele demanda le calme aux siens. La grève oui, mais sans manifestations violentes. "Au lieu de détruire les machines," disait-il, "les travailleurs doivent conquérir les mairies et les ministères". Cela n’empêcha pas ses adversaires de le faire condamner pour lèse-majesté et instigation à la désobéissance militaire. Voici les discours incriminés, prononcés justement pour éviter des actions violentes et la répression qui en serait la conséquence : "Travailleurs, le gouvernement ne demande pas mieux que de faire tirer dans le tas et ce jour-là on fera des banquets et on jubilera dans les palais de l’archevêque et du roi Léopold II, cet assassin du peuple." Et il pria les mères des soldats de demander à leurs fils de ne pas tirer sur le peuple, vu qu’ils appartenaient à la même classe. Il fut condamné à six mois de prison, jugement qui augmenta notoirement sa popularité auprès du peuple gantois, qui lui fit escorte, sous les vivats, jusqu’en prison.

La pièce maîtresse de son action concrète à Gand était l’élaboration progressive du complexe Vooruit dont il fut l’administrateur et le principal promoteur. Les prestigieux bâtiments Art Nouveau, "Ons Huis"" au Marché du Vendredi et "Vooruit" à la rue Neuve-Saint-Pierre continuent à en témoigner. Ils ne sont en fait que les étapes finales d’une organisation progressive d’activités ayant pour but la protection et l’émancipation des ouvriers, sous formes de coopératives, de mutuelle, de fonds divers qui, par leur concentration, permirent la réalisation des objectifs sociaux, tout en assurant le caractère lucratif des activités entreprises par lui et ses collaborateurs enthousiastes. Ce dernier aspect était, pour Anseele, la conditio sine qua non du succès de leur cause, les utilités obtenues servant entre autres à la propagande. En 1906 Adolphe Brisson résuma cette vision comme suit dans son livre, "Les Prophètes": "Le Vooruit est une citadelle, établie par les socialistes, d’où ils bombardent la classe bourgeoise à coups de tartine et de pommes de terre".

Comme déjà suggéré au début de ce texte, Edward Anseele n’avait pas que des amis. Ses ennemis étaient nombreux et souvent puissants. Parmi ses adversaires politiques de la première heure il y avait les doctrinaires libéraux, genre Frère-Orban et les conservateurs catholiques, tel ce Woeste qui avait donné libre cours déjà à sa hargne dans sa propre ville d’Alost contre l’admirable prêtre social Daens qui entra au parlement au même moment qu’Anseele. Du côté libéral l’opposition n’était pas totale, vu que souvent Anseele s’est vu soutenu dans ses revendications par la faction progressiste de Paul Janson. Il y eut plus tard aussi le soutien de l’industriel philanthrope Solvay avec qui Anseele eut une correspondance nourrie au sujet de la question sociale. Dans le camp catholique c’est surtout dans sa propre ville qu’il y eut une opposition, des plus dangereuses d’ailleurs, car intelligente. Dans la ligne de l’encyclique papale "Rerum Novarum", ils décidèrent de suivre l’exemple du Vooruit en fondant une coopérative "anti-socialiste". Het Volksbelang (L’Intérêt du Peule) offrit en un premier temps un intérêt supérieur à leurs affiliés et ils créèrent à leur tour des associations culturelles et une publication qui deviendrait le journal "Het Volk". Cependant les ennemis les plus acharnés d’Anseele, sortaient de ses propres rangs. Il s’agissait des autoproclamés "socialistes libres", des déçus et mécontents, dirigés par Paul De Witte, un ancien rédacteur du journal Vooruit qui avait été congédié. Celui-ci employa toute son énergie pour dénoncer certains abus dans la coopérative ainsi que le rôle tyrannique de son leader. Probablement qu’il y avait quelque chose de vrai dans ce dernier reproche. Mais la plupart des critiques formulées s’avèreraient des calomnies, qui toutefois firent un tort considérable au Vooruit, surtout lorsqu’elles furent reprises par la presse catholique de l’époque

Parmi les qualités du leader gantois, je relève celle du tribun, qu’il exerça avec éclat dans ses discours, la plupart en dialecte gantois, mais aussi en flamand standard et même en français, lorsqu’il s’adressa au peuple de Liège qui le fit élire député et lors de remarquables interventions au parlement. A ce sujet, il faut remarquer la lucidité du personnage qui, bien avant Gustave le Bon, semble avoir été conscient de la psychologie des masses. Dans son "Sacrifié pour le peuple" il écrit : "Quiconque a fait partie d’une masse, a senti que là chaque homme se défait de sa peur et se sent envahi dans son sang de plus de vie et plus de feu. Ce flux de gens, animé d’une seule idée, la conscience d’un pouvoir gigantesque qui s’en dégage et flotte au-dessus des têtes, fait de chaque participant quelque chose de plus de ce qu’il est, de ce que parfois il voudrait être et offre à la masse ce feu et ce formidable pouvoir qui la rend irrésistible."

Ces mêmes qualités, son pragmatisme, son talent de donner forme et conviction à ses idées, expliquent aussi son attitude controversée durant la première guerre mondiale et le fait qu’il s’en est sorti sans blâme, le roi Albert I acceptant même d’être officiellement reçu après l’armistice en 1918 à l’hôtel de ville de Gand, par lui en tant que bourgmestre d’un conseil municipal auquel il n’avait pas voulu renoncer durant l’occupation allemande. Cette attitude, fort critiquée par les patriotes, aussi dans les rangs socialistes, mais pour laquelle il trouva un allié dans le maire libéral Emile Braun, jusqu’à ce que celui-ci fut finalement déporté, lui fit céder sur de nombreux point aux insistances de l’occupant allemand, tels les réparations forcées du chemin de fer, nécessaires aux transport des troupes, qu’il permit pour éviter la déportation des ouvriers réquisitionnés. D’autre part il se montrait intransigeant, quand il s’agissait de défendre les rations de pain et de pommes de terre de la population gantoise. Ses démêlés avec les autorités allemandes ne l’empêchèrent pas, le premier mai 1915, d’inaugurer l’édifice Vooruit de la rue Neuve Saint-Pierre et d’y lancer un discours pacifiste qui n’aurait pas déplu aux activistes flamands, ni aux internationalistes bien sûr. Il y dénonça avec verve l’injustice de la guerre où les classes dominantes utilisaient la classe ouvrière pour régler leurs conflits soi-disant nationaux en concluant par un vibrant "Guerre à la guerre !".

Impressionnant mais pas tout a fait politiquement correct pour l’époque. Ce qui ne veut pas dire que le tribun gantois épousait les idéaux des nationalistes flamands. Si, au moment opportun, il a voté en faveur des lois linguistiques que ceux-ci proposaient, il n’était pas vraiment chaud pour leur cause. Il la trouvait trop élitiste. "Le peuple flamand a surtout besoin de biftecks, disait-il, et ensuite seulement d’une université flamande". Alors Anseele, un idéaliste visionnaire ? Un opportuniste roublard ? Ou tout bonnement un homme intelligent et une énergie sans faille qui, dans ma ville de Gand, a mené une lutte exemplaire sans qu’une goutte de sang ne soit versée, et s’est avéré un chaînon indispensable dans le progrès du et - peut-être bien aussi - des peuple(s).

FRANCIS CROMPHOUT

Geen opmerkingen: