LES ENFANTS FONT TOUJOURS LEUR POSSIBLE !
UNE NOUVELLE APPROCHE DE LA PEDAGOGIE DE L’ENFANT DIFFICILE.
J’ai vu à la télé un documentaire sur une institution psychiatrique suisse qui abritait, outre les schizophrènes et maniaques dépressifs de toujours, des patients aux étiquettes fraîchement peintes, tels l’autisme, borderline, etc. Il était frappant que, malgré ces diagnoses affinées variées, la thérapie administrée par les éducateurs bienveillants du centre se limitait au thème sécuritaire, protéger la société et surtout les patients contre eux-mêmes . Ce qui se traduisait par de longs séjours dans leur chambre et, en cas d’attitudes violentes, dans l’isoloir, mais surtout, pour éviter cette dernière situation, une chaîne interminable de médications qui me ferait définir le centre comme un énorme entrepôt de pilules.
Les dernières années la nouvelle nomenclature psycho-pathologique s’est aussi installée dans le monde quotidien des écoles et des familles. Aujourd’hui les enfants qui ont certains problèmes scolaires ne sont plus qualifiés de difficiles ou ayant des difficultés avec certains aspects de l’apprentissage, mais arborent des qualificatifs cryptiques comme ADHD, ODD ou Asperger et avalent des psycho-pharmaceutiques afin de les maintenir tranquilles et - dans le meilleur des cas - momentanément concentrés.
Loin du pédagogue que j’ai été et suis encore, de nier que certains enfants ont de véritables difficultés de concentration et d’adaptation, en particulier à l’intérieur d’un système scolaire de plus en plus exigeant, mais le problème de ces diagnoses bien sonnantes, c’est qu’elles se limitent dans la majorité des cas à coller une étiquette sur l’enfant en question et les étiquettes, ça aide à ranger son monde - souvent dans le placard de la bonne conscience des éducateurs - mais ne donnent pas des explications sur les causes et moins encore des solutions durables pour les comportements problématiques qu’ils désignent.
A contre-courant de cette tendance que je crois souvent néfaste, il y a heureusement aussi des nouvelles approches qui me semblent réellement éclairer notre compréhension des jeunes et des enfants en difficulté à l’âge scolaire. Je viens de lire un livre extraordinaire à ce sujet, d’un prof de psycho de Harvard, Ross W. Greene, intitulé « The explosive child ». Le titre déjà m’a fait dresser l’oreille. Il ne contient pas d’étiquetage savant, mais seulement une description du problème évoqué : un enfant explosif, un enfant donc qui, dans des situations qui le frustrent entre en une colère qu’il ne peut réprimer. Une description qui vaut aussi bien pour des cas extrêmes que pour des comportements observables chez tout un chacun de nos enfants.
Le problème exposé me semble en plus extensible à grand nombre des difficultés caractérielles ou émotives que l’on peut constater auprès des enfants en âge scolaire. Qu’est-ce un enfant explosif, sinon un enfant qui souffre. Il est conscient de son comportement et des dommages qu’il cause, tant sur lui-même que dans son entourage immédiat. Il se rend compte que sa façon d’agir peut lui faire perdre la sympathie de ses professeurs et camarades, et exaspère ses parents. Les stratégies classiques, lui faire la leçon, le nier, le punir ou récompenser, ne marchent pas. Que faire ?
Dr. Greene commence par une définition des causes principales du comportement des enfants explosifs: le manque de flexibilité et de tolérance à la frustration. En fait des compétences indispensables pour pouvoir s’adapter à la vie sociale. La caractéristique principale des compétences, qu’elles soient linguistiques, techniques, logico-abstraites ou sociales et affectives, est qu’elles s’acquièrent par l’apprentissage et se développent par l’entraînement. Il précise encore que les explosions violentes des enfants qui le préoccupent, ne sont pas voulues, pas faites exprès donc, et énonce un merveilleux principe, que tous les pédagogues devraient adopter : « les enfants font toujours leur possible » et s’ils n’agissent pas comme il le faudrait, c’est qu’ils ne le peuvent pas.
Résumons : le comportement explosif est un comportement non adaptif qui apparaît lorsque l’enfant n’a pas la capacité de réagir de la manière qu’on attend de lui. C’est un trouble de l’apprentissage et les stratégies disciplinaires qui régissent en général notre système éducatif, nuancées par des sanctions tant positives que négatives, n’enseignent pas la flexibilité, ni aux enfants concernés ( ni non plus d’ailleurs aux éducateurs qui les appliquent). Ils leur apprennent seulement que leur comportement n’est pas acceptable. Mais ça ces enfants le savent déjà. Le problème réside en ce que l’enfant ne s’amende pas, parce qu’il ne le peut pas et il ne le peut pas parce que les compétences nécessaires pour le faire lui font défaut. Les explications classiques qui culpabilisent les parents, mettent en évidence un manque de motivation présumé ou réduisent le comportement à une manière d’attirer l’attention, n’apportent rien à la situation de cet enfant qui a tant des difficultés à gérer ses frustrations et réagit de façon inadéquate aux exigences du monde qui l’entoure.
L’alternative pour Greene c’est une approche qu’il appelle Collaborating Problem Solving (CPS), laquelle implique la collaboration active des parents, des éducateurs et bien sûr aussi - et surtout -des enfants concernés. La méthode part de la constatation que les explosions sont prévisibles et par conséquent évitables de manière proactive. Il introduit la notion de détonateur. Il s’agit en un premier moment de bien observer les situations qui servent de détonateur aux explosions. Quelles sont les situations où l’enfant manifeste sa frustration ? En général des instants de passage : se lever le matin et s’apprêter pour aller à l’école, les devoirs et les tests ou examens à préparer, abandonner un jeu pur aller à table, etc. Lorsque, au cours du conflit qui apparaît à l’occasion de ces situations, l’enfant explose, on note souvent que celui-ci se trouve dans un état de vide total. Ce qui se vérifie lorsque, calmé, on lui demande pourquoi il a agi ainsi, et que sa réponse est d’ordinaire « je sais pas » ou « laisse-moi ». Ce qui révèle aussi déjà une des compétences qui lui font défaut. Car si l’enfant agit ainsi, c’est qu’il ne possède pas (encore) les compétences nécessaires pour agir autrement.
Quelles sont ces compétences ? Tout d’abord des compétences « exécutives » tels le passage efficace à une nouvelle situation, apprendre à s’organiser et planifier et la réflexion détachée des émotions , compétences qui impliquent toutes la maîtrise des impulsions et des négations réflexives (dire « non » automatiquement à tout changement). Ensuite il y a les compétences linguistiques qui concernent l’acquisition d’un vocabulaire adéquat pour catégoriser et exprimer des émotions (au lieu des « merde », des « je te hais » ou « fous-moi la paix » habituels). Il y a la compétence qui concerne la régulation émotionnelle qui permet de voir les causes des sentiments négatifs et permet de dominer les angoisses, la flexibilité cognitive qui concerne la gestion de situations confuses et apprend à s’adapter à des situations qui ne correspondent pas à l’attente de l’enfant. Il y a enfin les compétences sociales qui concernent la perception de signaux sociaux et leur interprétation correcte et qui permettent également de calculer l’effet de son propre comportement sur les autres.
Reste la méthode. Greene part de l’existence de trois approches, qu’il intitule les plans A, C et B. Le plan A c’est l’adulte qui impose sa volonté à l’enfant. Il contient un risque majeur d’explosion. Le plan C laisse tomber ce qu’on attend de l’enfant pour quelque temps, une approche qui évite l’explosion, mais doit être utilisée de manière proactive (jamais après avoir appliqué le plan A auparavant), sinon il s’agit d’une défaite de l’adulte qui abandonne de fait la partie. Et puis il y a le plan B qui correspond à la solution des problèmes en collaboration (CPS). Celui-ci doit s’effectuer en un moment de calme, jamais à l’instant de l’explosion. L’adulte induit progressivement l’enfant à réfléchir de façon proactive en suivant pour cela trois pas. Le premier est l’empathie. L’adulte est à l’écoute de l’enfant et lui laisse exprimer son problème, ce qui a un effet tranquillisant. Puis l’étape de la définition où, après que l’enfant a exprimé sa préoccupation, l’adulte en fait de même. En d’autres termes, deux points de vue sont ici confrontés dans un climat de confiance. Le troisième pas est l’invitation à une conciliation entre les deux points de vue et les préoccupations qui s’y attachent. Il est important que l’enfant donne en premier sa solution, après quoi l’adulte y ajoute la sienne ou nuance celle de l’enfant avec ses réflexions. Pour que la solution adoptée soit durable il faut qu’elle soit réaliste et satisfaisante pour les deux parties. Le succès total de cette approche demande du temps, parce qu’elle implique le développement de compétences multiples, telles qu’elles ont été formulées ci-dessus. L’enfant, mais aussi l’adulte, doivent apprendre à formuler leur problème, à avoir suffisamment le sens des nuances pour pouvoir céder partiellement. Bref les deux doivent acquérir la compétence de la flexibilité. Tout ça doit résulter en une responsabilisation progressive de l’enfant qui lui permettrait de mieux s’adapter au monde adulte qui l’attend, et même à comprendre l’application raisonnable du plan A, par exemple les règles de la circulation, ou certaines contraintes imposées dans le monde du travail, etc.
Le pédagogue en moi aimerait conclure par une réflexion sur l’application spécifique – et peut-être bien aussi généralisée – du Collaborative Problem Solving dans les écoles. Green observe que les enseignants font souvent objection à ce genre d’approche, en alléguant qu’ils ne sont pas préparés pour cela et qu’en tout cas le temps leur manque pour pouvoir l’appliquer. Remarquons tout d’abord qu’en situation de classe les explosions sont peu fréquentes. L’enfant est souvent trop gêné et se contrôle mieux qu’à la maison et la structure prévisible et grégaire du système scolaire le rend plus docile. Mais cela n’empêche que l’enfant puisse éprouver de fortes frustrations à l’école (se sentir exclu, être confronté à des difficultés d’apprentissage, être mal compris par certains enseignants…) dont les conséquences se manifesteront dans des situations où il se sentira moins inhibé.
De nombreuses écoles, pour des raisons d’efficacité, dit-on, pour ne pas perdre de temps, et surtout avec le motif avoué d’imposer les comportements adaptatifs en faisant un exemple, manient le système A , qui est une approche disciplinaire, basée sur la logique des punitions et des récompenses. Et en effet ce système marche bien pour tous les élèves qui n’ont pas de problèmes d’inflexibilité et d’intolérance à la frustration. Mais en ont-ils besoins, ces élèves-là ? D’autre part ce système ne marche pas du tout pour les élèves auxquels il est le plus appliqué, vu que leur comportement réprouvé n’est pas intentionnel et relève du manque des compétences que nous venons d’évoquer. Aussi faudrait-il envisager d’appliquer aussi dans les écoles la philosophie de Greene (« l’enfant fait toujours son possible ») et faire usage des conseils de classe d’une façon plus efficace en évitant de stigmatiser les élèves difficiles. On s’y limite – je le sais d’expérience - le plus souvent à l’évocation d’anecdotes concernant le comportement négatif de certains d’entre eux sans apporter ni le début d’une solution (dans de nombreux cas l’élève difficile termine renvoyé de l’école, souvent le début d’une tournée des écoles, avant d’atterrir dans une situation scolaire, puis professionnelle, qui ne correspond en rien à ses possibilités et aspirations).
L’alternative que Greene propose au système disciplinaire est celui des cartes de route qui permet d’identifier les détonateurs et d’essayer de résoudre les problèmes prévisibles de manière proactive en collaboration avec les élèves qui requièrent cette attention particulière et – à ne pas oublier - aussi leurs parents. Au lieu de les culpabiliser, ce qui n’arrive pas rarement, il faut les motiver à collaborer intensivement au développement chez leurs enfants des compétences nécessaires à une intégration heureuse dans le monde social qui les attend. Comme l’aurait dit autrefois un prof que je connais pour avoir été celui-là : au boulot, les gars !...
Francis Cromphout
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